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ESPERAL N°15 : Janvier, Février, mars 2006

Construire ensemble et se laisser façonner

parBernard LEGROUX

 

 

En ces temps là, quand la batteuse entrait dans la cour de la ferme tirée par la locomotive, dix à douze hommes s'affairaient tout autour, chacun s'attelant à une tâche précise. Le temps n'était pas compté. Ce qui importait était " le service " d'avoir été là pour battre la totalité de la moisson engrangée durant l'été. Et chacun rendait la journée à son voisin pour délier les gerbes, porter les sacs de grain, entasser les bottes de paille … véritable communauté humaine se façonnait au cœur du village de par cette entraide réciproque.

Quand aujourd'hui on entreprend de rénover une maison par soi-même, enduire une façade, élever un mur, couler une dalle de béton, remonter un plancher autant d'œuvres qui nécessitent de créer une équipe de travail. Et là aussi chacun accomplit alors une tâche précise qui concourt à réaliser l'œuvre prévue.

Quand arrive l'heure de pause, le casse-croûte et le verre rassemblent les acteurs et actrices. Chacun s'empresse de s'enquérir de l'avancée des travaux. Les discutions mettent en lumière les aptitudes de l'autre ; la finesse d'un doigté, la ténacité sur la résistance des matériaux, l'expérience de toute une vie. Le corps qui façonnait la matière se trouve soudain façonné par elle.

Le regard vient à son tour façonner en quelque sorte celui dont l'œuvre est observé. Par les diverses reconnaissances, la fierté de l'auteur grandit et par-là je me mets à construire sa personnalité.

" A chaque batteuse, mon père faisait " le tas de paille " qui résistait aux intempéries de l'hiver. Il ne s'écroulait pas au vent et ne pourrissait pas sous la pluie. Dans toutes les maisons on lui confiait cette tâche dont il était fier. "

Quand ces rénovations de bâtisse prennent plus d'ampleur, elles nécessitent une main d'œuvre plus importante. Les rencontres se trouvent démultipliées. Alors comment oublier les défis relevés d'un " 24 heures chantier " par équipes tournantes, d'une toiture démontée qu'il faut recouvrir, d'une maison désossée de la tête au pied et qui sait quand elle reprendra vie ?

En bâtissant ensemble une maison de pierre, chacun y laisse une part de soi. Voici qu'une maison remplie de sueur et de fatigue devient chair. Une maison humaine voit le jour construit de rencontres multiples, faites de visages de tous les âges et de tous horizons, les " ados " -garçons et filles- mêlés aux adultes - jeunes ou retraités - osant s'interpeller, se sourire, se dire un timide ou franc au revoir.

Et chacun laissant ce qu'il a inscrit dans la pierre le temps d'un week-end ou de quelques jours de congés, emporte à tout jamais jusqu'à sa propre demeure, cet embryon de communauté comme un bout de rêve à bâtir en d'autres demeures.

Bernard LEGROUX

 
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